Nijuman no Borei (200000 fantômes) de Jean-Gabriel Périot

 

Avec 200000 fantômes, Jean-Gabriel Périot, auteur d'une quinzaine de films et de vidéos depuis 2000, poursuit ses recherches sur l'interface de notre monde, dont l'inconscient est chargé de crimes, de spoliations et de massacres. Les courts métrages de l'auteur se déclinent en général en deux temps : la présentation d'une dynamique positive suivie des horreurs et non-dits qu'elle cache (voir We are Winning Don't Forget, 2003 et Eût-elle été criminelle..., 2005).

200000 fantômes s'inscrit dans la continuité des travaux de l'auteur tout en marquant quelques ruptures, notamment par le recours à une grande abstraction qui favorise plus la réflexion philosophique qu'événementielle. L’exposition dure, ici, très peu de temps. On voit la construction, en 1915, d'un grand bâtiment d'affaires sur un promontoire à Hiroshima. Quelques brèves images d'époque nous montrent, de manière plasticienne, des profils de la ville avec, toujours, l'édifice en ligne de mire. Puis, 1945, la fin du conflit armé et le bombardement d'Hiroshima sont montrés sous divers angles (on note la richesse du matériel d'archives utilisé par Périot qui a dû trier des milliers de photos provenant du mémorial de la ville et d'autres sources).

L’édifice sera, contrairement à tout ce qui l'entoure, peu touché. Les autorités décident de le laisser en l'état afin qu'il témoigne, dans les écorchures de la pierre, du désastre humain (et architectural) dont il a été le témoin et la victime. Il devient le A-Bomb Dome. Périot ne réalise pas vraiment des documentaires. Donc on ne visitera pas le bâtiment en touristes des désastres. L’artiste cisèle ici son matériau en numérique et nous avons un travail en épaisseur de l'image. L’écran recueille d'abord de petites vignettes centrales souvent en noir et blanc, parfois en couleur, qui se multiplient et saturent rapidement tout l'espace. Après quelques incrustations qui montrent l'évolution de la ville renaissant de ses ruines (d'abord isolé en 1945 au milieu des gravats, le A-Bomb Dome voit fleurir des constructions diverses autour de lui jusqu'à devenir un petit point perdu dans la nouvelle cité, mais toujours présent à l'image).

Une incontestable forme de beauté et de fascination se donne à lire dans 200000 fantômes. Le film circonscrit un corpus plus précis que la « guerre en général » : le devenir, essentiellement visuel, de la ville d'Hiroshima entre 1915 et 2006. Les images d'époques différentes sont imbriquées et incrustées les unes dans les autres, et nous convient ainsi à une curieuse ivresse des sens située entre destruction et reconstruction, entre entropie et renaissance.

 

Raphaël Bassan
Bref Magazine, septembre 2007